đŽ LâarmĂ©e française doit se prĂ©parer au risque de guerre de haute intensitĂ©, prĂ©vient lâĂtat-major
Selon lâĂ©tat-major, les prochains conflits armĂ©s pourront ĂȘtre de haute intensitĂ©, soit des affrontements plus durs, Ă plus grande Ă©chelle, qui se traduiront par de lourdes pertes tant matĂ©rielles quâhumaines.
Mercredi 6 octobre, le chef dâĂ©tat-major des armĂ©es françaises (CEMA), le gĂ©nĂ©ral Thierry Burkhard, sera entendu par la commission de la DĂ©fense de lâAssemblĂ©e. Son message ? Les forces armĂ©es françaises doivent ĂȘtre prĂȘtes Ă lâaffrontement mais sans le rechercher
â.
Ne pas chercher lâaffrontement, câest lâaffaire des politiques et des diplomates. Se prĂ©parer Ă tout conflit quâil soit asymĂ©triques (comme au Mali) ou de haute intensitĂ© (contre un adversaire disposant des mĂȘmes moyens conventionnels et prĂȘt Ă les engager massivement), câest bien la prĂ©rogative des militaires.
La guerre asymĂ©trique, les soldats français en font lâexpĂ©rience depuis des dĂ©cennies, tant en Afghanistan quâen Afrique. En revanche, aucun dâentre eux nâa connu de guerre conventionnelle oĂč seraient massivement engagĂ©s lâensemble des moyens classiques aĂ©roterrestres mais aussi des capacitĂ©s nouvelles dans le domaine du cyber, du spatial et de lâinformationnel.
Se préparer à une guerre de haute intensité
La haute intensitĂ©, ce nâest peut-ĂȘtre pas ce que nos soldats vivront demain, voir la semaine prochaine. Mais câest bien ce Ă quoi ils doivent se prĂ©parer dĂšs aujourdâhui. Et lâexhortation du CEMA Ă se prĂ©parer Ă ce type dâengagement est irrĂ©prochable. Elle se base sur quelques constats faits dĂšs 2016 dans un document de lâarmĂ©e de Terre baptisĂ© Action Terrestre Future (ATF) dont lâobjectif est dâanticiper les besoins de lâarmĂ©e de Terre sur le long terme.
La rĂ©flexion française rejoint lâanalyse du gĂ©nĂ©ral amĂ©ricain H. R. McMaster qui a dĂ©noncĂ© quatre « illusions » âsur la maniĂšre de conduire les prochains conflits, Ă savoir une approche technologiste et systĂ©mique de type « shock and awe » suffisante pour provoquer lâeffondrement de lâadversaire ; une trop grande confiance dans les forces spĂ©ciales portĂ©es au rang de martingale stratĂ©gique ; la croyance que la guerre peut ĂȘtre menĂ©e par procuration, grĂące Ă lâemploi de proxys et de supplĂ©tifs ; enfin, lâidĂ©e que lâennemi nous laissera choisir nos types dâengagement.
La prise en compte de ces quatre « illusions »âexplique, par exemple, lâeffort de renforcement des forces conventionnelles amĂ©ricaines en Europe et la volontĂ© dâĂ©prouver le renforcement express (par voie aĂ©rienne et maritime) des capacitĂ©s dĂ©jĂ dĂ©ployĂ©es. DâoĂč la massification des moyens amĂ©ricains pour disposer, plus vite, de plus dâeffectifs, dâĂ©quipements et de munitions Ă lancer dans une Ă©ventuelle bataille sur les frontiĂšres de lâest de lâEurope.
Des chocs plus violents, des pertes plus lourdes
La prise en compte de ces quatre « illusions » âexplique aussi la volontĂ© de lâactuel chef dâĂ©tat-major des ArmĂ©es de mieux prĂ©parer les forces françaises qui doivent changer dâĂ©chelle
â. Certes, il faut gagner la guerre avant la guerre
â, comme lâestime le gĂ©nĂ©ral Thierry Burkhard. Mais lâadversaire, on lâa dit, aura le choix des armes. DâoĂč le besoin de capacitĂ©s robustes dans les domaines de la guerre informationnelle, du cyber et du spatial. DâoĂč la nĂ©cessitĂ© Ă©galement de disposer dâun volume de forces conventionnelles humainement et technologiquement Ă©gales ou supĂ©rieures Ă tout ennemi potentiel.
Il faut donc massifier nos forces car, lors de conflits de haute intensitĂ©, lâattrition sera sans commune mesure avec celle rencontrĂ©e dans les conflits passĂ©s
 â(lire lâĂ©tude de lâIFRI : « La masse dans les armĂ©es françaises : un dĂ©fi pour la haute intensité », Focus stratĂ©gique, n° 105, juin 2021), avec des engagements consommateurs en effectifs et en Ă©quipements.
De rĂ©cents exercices en Estonie (exercice Springstorm ) et dans lâest de la France (exercice Dompaire ) ont tĂ©moignĂ© de cette Ă©rosion intense des capacitĂ©s ; de lâaveu mĂȘme des militaires français, 75 %, voire 85 %, des moyens dĂ©ployĂ©s seraient rapidement mis hors de combat. Une telle attrition implique des capacitĂ©s en rĂ©serve pour rĂ©gĂ©nĂ©rer, rapidement, effectifs, matĂ©riels et stocks (en particulier de munitions).
Comment massifier ? Certainement pas en piochant dans le parc patrimonial des musĂ©es militaires (quoi queâŠ). Il sâagit moins de combler des vides capacitaires
â(ce qui se fait actuellement en matiĂšre dâexternalisation) que dâaugmenter le volume de matĂ©riels disponibles dâune part et celui des effectifs militaires dâautre part. La solution passe bien sĂ»r par des budgets de la DĂ©fense « durcis » et « augmentĂ©s », Ă lâimage des matĂ©riels et des soldats du futur. Et il faudra plus de soldats !
Recourir à des services privés ?
Sur ce dernier point, le recours aux rĂ©servistes permettra de soulager la charge des unitĂ©s dâactive et de combler les trous suite aux meurtriers chocs initiaux. Mais lâengagement des rĂ©serves ne rĂ©glera pas tout.
Dans « La masse dans les armĂ©es françaises : un dĂ©fi pour la haute intensitĂ© », il est aussi fait rĂ©fĂ©rence au « recours Ă des opĂ©rateurs privĂ©s » pour Ă©toffer cette masse. Câest ce que dit aussi le document de 2016 produit par lâarmĂ©e de Terre : Lâaction terrestre future. Cette ATF prĂ©cise que la coopĂ©ration peut aussi demander dâĂȘtre capable dâĂ©changer, avec les organisations non-gouvernementales et les entreprises privĂ©es de service de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense, sans quâil soit question en lâespĂšce dâinteropĂ©rabilitĂ©
â.
Il y a donc une place pour les ESSD (entreprise de services de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense) dans ce grand projet pour dĂ©velopper la masse au sein des forces terrestres, projet qui envisage clairement selon lâATF lâengagement dâopĂ©rateurs privĂ©s (MCO, tĂąches organiques et logistiques, de protection de la force)
â.
Un tel recours aux capacitĂ©s du privĂ© nâest pas dans la culture tricolore. Et pourtant, il va bien falloir cesser de parler de « mercenariat » âet considĂ©rer lâapport des entreprises commerciales dans le domaine du soutien. Et admettre par exemple que le MCO peut ĂȘtre externalisĂ© sur les thĂ©Ăątres dâopĂ©rations. Les Ă©quipementiers militaires français Arquus et Nexter attendent dâailleurs des clarifications sur ce point.
En attendant, non pas un conflit de haute intensité mais une décision tricolore réfléchie, il faut anticiper :
– en se penchant dâabord sur rĂ©glementation nationale et le droit du travail pour clarifier le champ dâintervention du privĂ© ;
– en identifiant enfin les domaines oĂč le privĂ© peut intervenir ;
– en identifiant les acteurs capables de fournir ces prestations dans le cadre de la haute intensitĂ© ;
– enfin en associant les ESSD rapidement aux grands exercices qui sâannoncent dans les mois qui viennent.
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